Grémonville et son histoire

La construction de l’église en 1774

Lettre de supplication du Châtelain de Grémonville à Monseigneur l'Archevêque de Rouen

Monseigneur


Monseigneur l'Illustrissime et Révérendissime Archevêque de Rouen, Primat de Normandie,


Supplie très humblement Pierre Le Roux d'Esneval, Baron d'Acquigny, Marquis de Grémonville, Président à Mortier honoraire du Parlement de Rouen,


Et vous remontre très respectueusement Monseigneur que depuis qu'il est devenu héritier du Marquisat de Grémonville, il a cherché tous les moyens de décorer et embellir l'église paroissiale du dit lieu de Grémonville, mais la construction de l'église est de si mauvais goût et si peu solide, étant en outre défigurée par une très vilaine tour servant de clocher qui est entre le chœur et la nef … L’église de Grémonville est d'ailleurs trop petite pour le nombre les habitants et souvent aux premières messes une partie des fidèles est obligé de rester hors l'église il n'y a guère moyen d'allonger l'église par aucun des bouts parce que l'on se trouve gêné d'un bout par le presbytère et de l'autre par l'enceinte du château, et d’ailleurs coûteux d'adapter de la maçonnerie neuve avec un vieux bâtiment caduc et dont les murailles sont creuses.


Il serait de nécessité de retirer la tour et de bâtir un clocher ailleurs ; toute cette bâtisse couterait beaucoup et ne ferait rien de bien, le terrain sur lequel est l'église est d'ailleurs très humide, tant entouré de bâtiments du presbytère, de ceux du château, d’arbres de haute futaie qui produisent une humidité considérable …


Ces considérations ont déterminé le suppliant à prendre le parti de bâtir à ses frais une église toute neuve et la transporter dans une grande cour à lui appartenante bien close de bons murs de briques de six à sept pieds de hauteur (deux mètres à deux mètres trente) place un peu élevée au-dessus du terrain voisin, plus éloigné des futaies avec la précaution de faire à l'église neuve un perron de quelques marches, d'y percer de grandes croisées, il y a tout lieu de croire qu'elle sera sèche et saine. La cour en question est assez grande pour contenir l'église et faire même un cimetière de bonne grandeur autour de la dite église. Le suppliant a communiqué son projet à Messieurs les Ecclésiastiques et aux habitants de la paroisse qui l'ont loué et approuvé, l'ont remercié de sa bonne volonté et l'ont prié de vouloir bien l'exécuter le plus tôt qu'il lui sera possible, vu la grande incommodité de l'église actuelle.


Ce considéré, Monseigneur, il vous plaise de permettre au suppliant de changer de place l'église paroissiale de Grémonville et en bâtir à ses frais une neuve sur un fonds à lui appartenant, permettre en outre que la cour close de murailles dans laquelle la nouvelle église sera bâtie soit bénie à usage de cimetière pour y recevoir les corps de ceux qui auront la dévotion de vouloir reposer autour de l'église et le suppliant continuera ses vœux pour la conservation de votre grandeur.

En juin 1774, le châtelain, Pierre Le Roux d‘Esneval, marquis de Grémonville expose à Monseigneur de La Rochefoucauld, archevêque de Rouen, le projet de construction d'une nouvelle église. Il demande bientôt l'avis des habitants de Grémonville, ces derniers lui répondent le 26 juin 1774. Le 21 juillet, un envoyé du diocèse visite l'église et établit un rapport. L'archevêque ordonne alors, le 19 septembre, la construction de l'église que nous connaissons actuellement.


Les textes recherchés dans les archives départementales sont transcrits en français de l’époque, au 18eme siècle.

26 juin 1774 : Extrait du registre des délibérations du trésor et fabrique de Grémonville

Nous, desservant, trésoriers, et principaux habitants de la paroisse de Saint Pierre de Grémonville, assemblés ce jourd'hui dimanche vingt-six de juin, issue de la grande messe paroissiale, après avertissement fait au prône, et au son de la cloche, selon la manière accoutumée, ayant eu communication d'une requête présentée par Monsieur le Président d'Acquigny, Marquis de Grémonville à Monseigneur 1 'Archevêque de Rouen, aux fins de bâtir une autre église dans un lieu plus commode, consentons que la dite église soit bâtie par Monsieur le Président d'Acquigny, Marquis de Grémonville et le prions de vouloir bien exécuter sa bonne volonté à cet égard, ce que nous avons tous signé d'un commun accord ce dit jour et an que dessus.


Charles Duperron trésorier actuel, Pierre Froissard, Nicolas Dubosc, Jacques Chirois, Charles Martin, Pierre Faucon, Paul Fessard, Martin Niel, Jean-Baptiste Faucon, Nicolas Serre, Thomas Berrenger, Jacques Belle fontaine, Michel Le Clerc, Jean-Baptiste Brannetot prêtre chapelain, Biville prêtre vicaire de Grémonville, Bernage prêtre desservant de la paroisse de Grémonville.

21 juillet 1774 : Procès-verbal de visite de l’ancienne église

Nous, soussigné prêtre chanoine et grand pénitencier de l'église métropolitaine et primatiale de Rouen, en conséquence de la commission à nous adressée le dix-sept juin dernier par Monseigneur 1'Archevêque de Rouen, Primat de Normandie, et de notre mandement (instructions) en date du même jour, par lequel nous avons indiqué le vingt et unième jour de juillet de la présente année pour nous transporter en la paroisse de Saint Pierre de Grémonville, doyenné de Canville, diocèse de Rouen, à l'effet de procéder à la visite de l'église du dit lieu et du terrain destiné à en bâtir une nouvelle.


Nous nous sommes rendus à la sus dite église de Grémonville le 21 juillet 1774 vers les 8 heures du matin, où nous avons été reçu par le clergé et les trésoriers de la dite église, et après avoir célébré la Sainte Messe, avons déclaré aux trésoriers, propriétaires et autres présents dans l'église en très grand nombre, le sujet de notre visite et avons averti que si quelqu'un entend s'opposer au projet de transférer l'église en la changeant de place, il peut et doit nous le dire. Et personne ne s'étant opposé, nous avons procédé à la visite de la sus dite église.


Nous y avons remarqué qu'elle est d'une telle humidité que quelque soit le soin que l'on ait de la balayer, le pavé et les tombes sont continuellement couvertes de terre, que les murailles des pignons du chœur sont remplies de grandes taches d'humidité, qu'un grand dais au-dessus du maître-autel depuis cinq ans est déjà gâté et presque pourri. Nous avons remarqué que le grand tabernacle sent le goût d'humide quand on 1'ouvre. Il nous a été dit par messieurs les prêtres du lieu qu'ils sont obligés de renouveler très souvent les Saintes Hosties de peur qu'elles ne s'altèrent par l'excès d'humidité du lieu. Nous avons remarqué que les armoires de 1'église et de la sacristie sont tellement, humides que l'on ne peut y rien conserver de propre, ce qui fait que l'on réserve tant au château qu'au presbytère les ornements des fêtes et dimanches, et que l'on ne garde à l'église que les journaliers qui ne peuvent y être conservés longtemps propres et qui sentent un goût d'humidité. Il nous a encore été dit que lors des dégels ou des temps nébuleux, l'humidité remontant à la voûte du berceau du chœur et de la nef, il en dégoûte sur le prêtre â l'autel et sur l'assistance de grosses gouttes d'eau qui ont souvent obligé de déserter le chœur et d'aller réfugier sous le clocher pour achever l'office, et messieurs les prêtres nous ont observé qu'il est tombé de ces gouttes d'eau sur la Sainte-Hostie et une fois dans le calice lorsqu'il était découvert pour la fraction de l’hostie. Nous avons remarqué que le chœur est séparé de la nef par une grosse tour de pierre dont l'arcade petite et serrée empêche que l'on ne voie de la nef à l'autel quand l'église est remplie de monde. Les jours de dimanche et de fêtes, l'église est de moitié trop petite pour le nombre des habitants, les hommes sont obligés de se mettre partie dans le chœur et partie sous la tour du clocher où ils restent debout et en foule de sorte qu'ils bouchent le passage et empêchent que ceux qui sont dans la nef puissent voir dans le chœur et outre cela un certain nombre de paroissiens est obligé de rester dehors. Nous avons remarqué que, la chaire étant placée dans la nef, il n'est pas possible d'entendre le prédicateur dans le chœur. Messieurs les prêtres nous ont dit que cela les oblige de faire le prône debout sous le clocher, afin de pouvoir être entendus de tout le monde, ce qui est une position très gênante pour un prédicateur. Nous avons remarqué que la nef est aussi humide que le chœur, que le pignon du chœur est prêt à tomber et qu'il y a une poutre de pourrie dans le chœur, que tout le pallis (lattis) qui en forme la voûte ou berceau est en très mauvais état, que les murailles de la sacristie, qui d'ailleurs est trop petite, sont lézardés en plusieurs endroits.


Nous nous sommes ensuite transporté sur le terrain destiné à bâtir une nouvelle église à 100 pas environ de distance de 1'ancienne église. Nous avons remarqué que c'est un terrain plus élevé que celui de l'ancienne église, et exhaussé au-dessus du sol voisin, bien airé et bien situé, que l'on nous a dit être une cour appartenant à Monsieur le Président d'Acquigny, bien close de bonnes murailles de briques de 7 pieds de hauteur (2 mètres 30) en tout son contour ; la dite cour ayant environ 33 toises de long (64 mètres) sur environ 20 de large (39 mètres) ; qu'elle est assez grande pour y bâtir une grande et belle église et l'entourer d'un cimetière assez vaste pour l'usage de la paroisse. Il nous a été dit par Monsieur le Président d'Esneval d'Acquigny, Marquis de Grémonville, seigneur et patron du dit lieu, qu'il donne avec plaisir cette cour pour y construire la nouvelle église et y faire un cimetière et qu'il offre de bâtir à ses frais la nouvelle église en se servant des matériaux de l'ancienne suivant et conformément à un fort beau dessin qu'il nous a montré et qui est fait par Monsieur Thibaut, architecte doyen des jurés experts de la ville de Rouen, lequel dessin nous avons loué et approuvé, louons et approuvons. Il nous a été dit par Monsieur le Président d'Acquigny qu'il serait pourvu à ce que l'office divin ne soit interrompu et ceci décemment pendant la bâtisse de l'église. Il nous a été représenté par Monsieur le Président d'Acquigny que plusieurs des Messieurs de Bretel, ses ancêtres, sont inhumés dans de grandes tombes sous le chœur de l'église de Grémonville ainsi que plusieurs curés qui étaient de ses parents et notamment Monsieur 1'abbé de Lussac, son cousin germain, décédé cette présente année, lequel ainsi que Monsieur l'abbé Sonning, un de ses prédécesseurs, parents aussi de Monsieur le Président d'Acquigny sont enterrés dans le cimetière sous de grandes tombes de pierre et qu'il supplie Monseigneur 1 'Archevêque de vouloir bien lui permettre de transférer les corps de ses ancêtres et autres de ses parents dans le caveau de sépulture qu'il entend faire construire sous le chœur de la nouvelle église. Et avant de clore notre visite nous avons demandé de nouveau à toutes les personnes assemblées, au son de toutes les cloches, à ce sujet si quelqu'un entend faire opposition au changement d'église et à la nouvelle bâtisse projetée faire, et personne ne s'y étant opposé et ayant marqué au contraire l'empressement le plus grand de voir exécuter ce projet, avons clos notre présente visite à Grémonville le vingt et unième jour de juillet mil sept cent soixante quatorze avant midi.


Et le même jour, en vertu d'une permission verbale de Monsieur l'abbé Lenisse, après avoir vu la croix posée dans le terrain destiné à faire le nouveau cimetière nous avons béni la dite croix et le dit terrain selon la forme et faisant les prières du rite du diocèse.


Nous avons loué et approuvé, louons et approuvons le pieux projet de Monsieur le Président d' Acquigny, en conséquence, nous l'autorisons à faire démolir l'église actuelle de Grémonville et en faire construire une nouvelle sur le terrain désigné, le tout à ses frais ainsi qu'il est énoncé dans la dite requête, comme aussi de faire transporter les coffrets où sont déposés les corps de ses ancêtres dans le caveau de la nouvelle église, lorsqu'il sera préparé à cet effet. Défendons à l'avenir d'inhumer, à compter du jour où notre présente ordonnance aura été publiée au Prône de la messe paroissiale, aucun corps dans le cimetière de l'ancienne église, lequel néanmoins demeurera clos et fermé comme ci-devant pour empêcher l'entrée aux bestiaux et ordonnons que les inhumations soient faites dans le cimetière de la nouvelle église.